Dans cet interview accordée à nos confrères de Mining& Business, le nouveau directeur général de la Gecamines parle de sa vision à la tête de la Générale des carrières et mines

M&B : Monsieur le Directeur Général, pourriez-vous vous présenter ?

Je suis Sama Lukonde Kyenge, fils de Faustine Kaputo, et de Stéphane Lukonde, tous deux décédés. Je suis né le 4 août 1977 à Paris. J’ai donc eu 43 ans dernièrement. Je suis marié et père de 3 enfants. J’ai grandi en République Démocratique du Congo, dans une famille de 8 enfants dont je suis le garçon unique. En tant que fils Gécamines, j’ai effectué mes études primaires à l’institut Maadini à Lubumbashi.

À l’âge de 12 ans, mon père a choisi de m’envoyer à l’internat pour façonner ma personnalité. C’est comme cela que j’ai passé mon examen sélectif pour être admis à l’institut technique de Mutoshi à Kolwezi une école prestigieuse où j’ai fini mes études secondaires en 1996 en option chimie industrielle. Je suis ingénieur de formation, pur produit de la Gécamines ! J’ai effectué plusieurs stages de formation à la Gécamines et précisément à Luilu, à EMT Likasi, à Shituru, à l’usine de Lubumbashi et à Nzilo. Un parcours qui m’a fortement lié à la Gécamines.

Et après ? Votre parcours professionnel ?

Je suis parti en Afrique du Sud où j’ai fait des études en « Information Technology ». Là, j’ai commencé à travailler dans une entreprise, Multichoice Africa, qui faisait de la distribution de télévision numérique. En 2001, malheureusement, mon père est décédé, et j’ai été tenu de rentrer au pays pour y assumer mes responsabilités familiales. Comme tous les jeunes à cette époque, j’ai commencé à travailler dans l’artisanat minier. Principalement dans les carrières de Luisha, de Kamwale, et un peu plus tard dans Kabwelela, comme négociant. En 2005, je deviens Directeur de Production d’une usine de cuivre (SMS), puis consultant dans plusieurs sociétés du secteur minier privé de notoriété dans l’hinterland katangais. Je tiens à préciser qu’en 2001, bien qu’ayant déjà eu une formation de chimiste, j’ai choisi à mon retour d’Afrique du Sud de reprendre des études universitaires parallèlement à mes activités qui m’ont emmené à obtenir mon diplôme d’ingénieur chimiste. 

Mais depuis mon plus jeune âge, je baigne dans la politique à travers mon père, Stéphane Lukonde Kyenge, qui est une figure emblématique de la politique congolaise dans le Katanga. Il a forgé la moitié de sa carrière à la Gécamines, avant d’être appelé aux plus hautes fonctions politiques comme ministre du Plan, ministre des Petites et Moyennes Entreprises. Ensuite, il est revenu au Katanga comme Directeur Général de la SNCC puis Gécamines Développement, une filiale de la Gécamines.

Vous avez donc une filiation très forte

Oui, en effet ! Si on observe mon parcours, j’ai vraiment suivi ses traces. Ainsi en 2006, j’ai décidé d’entrer en politique active. À 29 ans, j’ai été élu député national de la circonscription de la ville de Likasi, le plus jeune de cette législature-là. Par la suite, j’ai été membre fondateur d’un parti politique qui a fait ses preuves. Ce qui m’a permis d’être pris au gouvernement Matata comme ministre de la Jeunesse, Sport et Loisirs en 2015 à l’âge de 37 ans et consécutivement à cette nomination, désigné Président de la Conférence des ministres de la Jeunesse des pays membres de la francophonie.

Vous êtes aussi un homme politique ?

J’ai fait un parcours gouvernemental de 9 mois, car j’ai démissionné de mon poste de ministre. Cela a été une décision difficile et inattendue, mais je l’ai prise par principe, parce qu’en ce moment-là, il y avait une lutte pour l’alternance politique et le respect de la Constitution. C’était important pour moi de rester fidèle à mes convictions, c’est-à-dire militer pour un État vraiment démocratique où l’alternance n’est pas un vain mot. Cette démission m’a donc mené tout droit dans l’opposition, où j’ai eu la chance de côtoyer un homme, qui était déjà une figure de poids, mais dont on ne pouvait s’imaginer qu’il serait un jour Chef de l’État… Parce que c’est de lui qu’il s’agit, Son Excellence Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Il a dû remarquer mon assiduité dans le travail, mes convictions, mon intégrité. Je pense que c’est cela qui a dû contribuer à porter son choix sur moi, en me nommant Directeur Général de la Gécamines. 

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Que vous inspire la Gécamines ?

J’ai toujours été impressionné par l’héritage de Gécamines. Comme je vous l’ai déjà dit, je me considère comme un pur produit Gécamines ; j’ai étudié dans ses écoles, j’y ai effectué tous mes stages et je suis issu de son système. En grandissant, nous avions une expression swahilie « Gécamines ndjo baba, ndjo mama » pour désigner cette dernière ; que je la considère en effet comme un autre parent. Elle a contribué à forger l’homme que je suis aujourd’hui.

Elle a également pendant longtemps mérité le titre de colonne vertébrale de notre économie. C’est pour ces deux raisons que j’ai un engagement indéfectible pour la redresser même si cela peut paraitre idéaliste pour certains.

Enfin, malgré la réalité actuelle, Gécamines reste pour moi un géant minier incontournable.

Vous êtes à la tête de la Gécamines depuis 2 mois, quelles sont vos premières impressions ? Le fait d’être dans ce fauteuil de DG a-t-il changé l’image de la société ?

Pour toutes les raisons dont j’ai fait mention, je réitère, Gécamines est un géant minier. Je le pense d’autant plus que c’est une entreprise centenaire demeurée dans son cœur de métier et que son large patrimoine d’actifs miniers est toujours présent. Cependant, son outil industriel est fortement détérioré et le principal facteur qui contribue au délabrement de l’image que nous avons de Gécamines est l’obsolescence de ses installations.

Le géant a pourtant une production de junior !

Le terme de géant est surtout lié aux portefeuilles d’actifs miniers et de participations que nous avons, et qui peuvent à nouveau faire de Gécamines un pilier colossal de notre économie. Il faut noter que l’année dernière, la RDC a exporté un million quatre cent vingt mille tonnes de cuivre, une quantité largement au-dessus de ce que nous produisions seuls dans les années 80, la demande mondiale étant plus forte. Mais lorsqu’on observe de près, 800 000 tonnes de ces exportations sont issues de partenariats dans lesquels la participation Gécamines est en moyenne de 30 %. Ainsi donc, la part attribuable à la Gécamines avoisinerait plus ou moins 200 à 250 000 tonnes en 2019.

Certes, la production propre à la Gécamines peut être considérée de junior, mais celles à travers ses joint-ventures sont considérables, mais peu contributives visà-vis de Gécamines.

Cela dit, nous ne voulons pas nous satisfaire de cela. Mais c’est la base à partir de laquelle nous souhaitons redresser le géant.

Vous avez une vision, mais quels sont vos principaux défis pour un véritable redémarrage de ce géant minier ?

Tout d’abord, je voudrais remercier le Chef de l’État, son Excellence Félix Antoine Tshisekedi, de me donner cette opportunité de pouvoir rendre à Gécamines ce qu’elle m’a apporté. En effet, j’ai quatre défis principaux. 

Le premier qui a été donné à tout le conseil d’administration et la direction générale, lorsque le mandat a commencé, est de redorer le blason de Gécamines. Qu’entendon par là ? Ce qui faisait l’image de Gécamines, c’étaient ses infrastructures de production, mais aussi ses infrastructures connexes, hôpitaux et écoles dont tout le monde bénéficiait. Ces infrastructures faisaient la fierté de la Gécamines. Certes, on ne pourra pas retrouver cette Gécamines à l’identique, mais nous avons la possibilité et l’obligation d’améliorer son image. Le deuxième défi, ce sont les recommandations de l’actionnaire unique. La Gécamines est une société minière commerciale qui doit être rentable pour son actionnaire unique : l’État congolais, représenté par le ministre du Portefeuille. Ses recommandations sont claires : la relance de la production, la poursuite de la transformation de Gécamines et l’optimisation et la rentabilisation des partenariats. Le troisième défi, c’est de reprendre nos responsabilités sociétales et environnementales, en reconfigurant toutes nos actions sociales dans les villes où nous avons des activités minières. Et le quatrième défi, c’est la question de la sous-traitance. On a besoin de créer une classe moyenne dans ce pays. Et nous avons la loi sur la sous-traitance. Gécamines a un levier important pour dire à chacun de ses partenaires dans les joint-ventures : nous sommes ensemble, mais Gécamines n’a qu’un seul actionnaire, la RDC ! Nous devons respecter les lois et promouvoir la sous-traitance congolaise. Et c’est ça qui va permettre d’avoir cette classe moyenne dans le pays.

Mais lorsqu’on parle de la sous-traitance, on ne veut pas de la sous-traitance fictive, parce qu’en réalité c’est aussi possible de le faire. Mais les Congolais veulent une véritable sous-traitance avec des gens qui sont établis au Congo, qui utilisent de la main-d’œuvre congolaise, et qui utilisent des produits congolais.

Pour relever tous ces défis ; ça demande un effort collectif, où l’État actionnaire, le conseil d’administration, la direction, ainsi que les agents Gécamines, connaissent leurs places et jouent leurs rôles.

Avec votre arrivée, la Gécamines prend un nouveau tournant. Que peut-on attendre du « géant minier » pour l’année à venir ?

Je reste convaincu que Gécamines est incontournable. Ce qu’il faut attendre, c’est « le retour de Gécamines sur la chaine de production et la création de valeurs. » Pour le moment, la Gécamines produit essentiellement à Likasi (Shituru). Nous faisons de l’hydrométallurgie, nous produisons des cathodes. Shituru, c’est depuis 1929. Et je ne pense pas que lorsque ces concepteurs-là avaient fait le plan, ils ne pouvaient imaginer qu’on arriverait à un tel exploit ? Cette usine fera bientôt 100 ans. Il faut saluer l’effort qui a été fait, et saluer tous les agents qui sont passés par là, et ont permis à Gécamines de demeurer ce qu’elle est de toujours être ce qu’elle est aujourd’hui.

Et concrètement… 

Concrètement, il faut passer à autre chose. Shituru a servi, mais aujourd’hui, nous devons aller vers de nouvelles entités adaptées aux contextes miniers dans lesquels nous évoluons. Lorsqu’on regarde comment la Gécamines produisait, elle utilisait beaucoup de transferts de minerais entre Kipushi, Kolwezi, Likasi, et Lubumbashi, c’était une autre manière de fonctionner. Aujourd’hui, toutes les nouvelles sociétés minières en RDC ont leurs entités de production proche de la mine. De ce point de vue, Gécamines n’est absolument pas compétitive, parce qu’elle produit son cuivre à un coût trop élevé. C’est bien d’augmenter la production, mais cette production doit être augmentée, qualitativement, et à moindre coût, pour la ramener au niveau où nous pouvons  soutenir nos charges et distribuer à terme un dividende à son actionnaire unique. Il y a possibilité de nous adapter, parce que nous avons certains actifs où nous pouvons avoir des nouvelles usines 100 % Gécamines, qui sont rentables et qui produisent aux normes. Cela pourra résorber une partie du personnel pléthorique que nous avons. Ce que nous voyons pour l’avenir, c’est surtout cette responsabilité sociétale et environnementale. Nous devons nous assurer que nous faisons bénéficier aux populations proches des sites de production de l’accès à des infrastructures de santé de qualité, surtout en cette période de pandémie à Coronavirus.

Nous devons nous assurer que nos propres agents sont protégés de la pandémie, parce qu’il en va de la productivité de la société. Les actions du passé ont conditionné notre présent, la Gécamines a malheureusement été dépouillée et décapitalisée sur les 25 dernières années ; voir plus. Notre objectif majeur s’inscrit dans le souci de réinscrire Gécamines en tant qu’opérateur minier à part entière. Cela s’articule premièrement en transformant structurellement l’entreprise afin d’assurer une relance de la production de manière optimale et performante. Cela sera rendu possible grâce à nos actifs miniers. La Gécamines a encore des actifs à mieux valoriser. Raison pour laquelle nous identifions de réels pôles de croissance propice à être amélioré afin de construire l’avenir de Gécamines. Il s’agit de Kambove, Kipushi, Kolwezi, Luena, Likasi, et Lubumbashi. Mais contrairement à nos stratégies antérieures, nous n’allons pas nous satisfaire des certains acquis, mais au-delà ; nous allons considérer dans notre vision l’amélioration de la qualité et la quantité de métaux produits en général et ramener Gécamines dans la production du cobalt. Nous insistons aussi sur la rentabilisation, la rationalisation et l’optimisation de nos partenariats. Ainsi que favoriser le local content dans les chaines de valeurs que chaque projet génère.

Allez-vous continuer à céder des actifs ?

Nous devons faire un inventaire de tout ce que nous avons comme actifs stratégiques. À moment-là, on peut décider si une cession peut être possible, si un nouveau partenariat peut être envisageable ou si nous devons y aller en tant que Gécamines propre. Parce que ce sont des possibilités qui nous sont offertes par la loi, mais nous devons tenir compte de nos actifs stratégiques avant de penser à les céder. J’aimerais le dire de manière différente ; nous allons continuer à garder nos actifs stratégiques. Le premier élément de notre vision, je rappelle, est de relancer la production et d’optimiser nos actifs présents. Ce n’est que lorsque nous ne pourrons pas les utiliser que nous allons penser aux joint-ventures, si c’est réellement rentable. Et si nous créons une joint-venture ; nous apporterons un actif et nos partenaires la technologie.

Comment allez-vous prioriser ce local content et dispatcher les tâches aux entreprises locales ?

Le levier que nous voulons tirer, c’est de pousser nos partenaires à respecter la loi sur la sous-traitance. C’est vrai, ça va avec plusieurs implications. C’est-à-dire qu’il doit y avoir des appels d’offres équitables et non discriminatoires pour permettre aux entités à capitaux congolais d’accéder au marché. Il faut le faire avec la participation de la FEC, pour qu’on s’assure que les sociétés qui seront prises utilisent du personnel congolais, et produisent localement. Parce qu’elle fédère, la plupart de ces entreprises. Donc, il faut que la FEC soit au courant de ce qui se fait.

Un dernier mot pour conclure ?

Mon dernier mot, c’est un message à la jeunesse. J’ai dit que lorsque j’étais entré au parlement j’étais parmi les plus jeunes, lorsque je suis entré au gouvernement Matata, j’étais le plus jeune. Je reste parmi les plus jeunes directeurs de la Gécamines. C’est pour leur dire que c’est possible d’y arriver si jamais ils osent. Einstein a dit : « Avec la logique, on peut aller d’un point A à un point B, mais avec l’imagination et l’audace, on peut aller partout où on veut ».

Puisqu’on a parlé des sous-traitances, ça sous-entend l’entrepreneuriat. Nous avons aujourd’hui beaucoup de jeunes qui veulent travailler, mais l’accès à l’emploi est difficile. On a besoin d’avoir finalement des entrepreneurs parce que c’est peut-être là, la solution à l’emploi. Mais pour le faire, il faut oser. Moi j’appelle cette jeunesse à y croire, à oser, et à aller vers ses rêves, quel que soit le domaine. Je pense que si jamais on y met de l’énergie et de la conviction, c’est possible d’y arriver.

Je vous remercie 

Propos recueillis par Olivier Delafoy